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L’aventure Respirations : regards évaluatifs d’un regain du droit de cité

Le programme répond de manière très créative à des questions qui travaillent notre lien social contemporain, à savoir des ruptures de transmission, du droit non-droit de cité et d’autres formes de violences socio-politiques (Biancarelli, 2019)[1]. À partir de l’analyse des données issues du terrain, un des socles de l’été Respiration s’avère être le « bâtir ensemble », une dimension novatrice du droit de cité. Nous entendons le « droit de cité » comme permettant aux enfants et aux familles d’avoir un lieu d’accueil de leur :

  • Nom (voir atelier de graff’ de marquage/inscription des noms, le travail autour de la signature des œuvres)
  • Parole et de leur langue : mise en circulation de la parole, de faire revivre la transmission (voir atelier berceuse, show à la fenêtre)
  • Identité : montages identitaires et indentification à des lieux (voir balade en train)
  • Corps : mise à l’abri du corps et construction d’un langage corporel (voir atelier Hip Hop)
  • Culture : des spatialités de manifestation culturelle et de transmission

Une des caractéristiques de la post modernité est l’effacement de l’histoire, voire une non-inscription (Augé, Mbembe, Douville, Biancarelli). En tant qu’évaluateurs nous portons attention aux formes novatrices de la communauté Respirations de faire une histoire collective, de l’inscrire et de la transmettre, de retisser les fils du récit. C’est dans cette direction que nous avons construit la boite à outil de l’été Respiration, avec la proposition de la Création d’une archive vivante des « mémoires de Vacances ». Toute production de document est liée à la trace et à la mémoire, à l’écoute et au regard, à la transmission et à la communication. Nous considérons que le regard de chaque acteur de terrain est pertinent parce que singulier. Observer une situation est déjà une lecture, une capture qui met en rapport la connaissance de l’acteur et qui sera ensuite attestée, modifiée par l’évaluation qu’il mènera de sa pratique : c’est cela que l’ARESH encourage et accompagne, sur chaque Région pilote du programme. La dimension du désir de l’acteur est présente dans la construction de son analyse et des outils qu’il a choisi de s’appuyer pour transmettre à l’autre le regard qu’il porte sur sa pratique et sur l’impact social du projet dans la vie de chaque famille. Autrement dit, ce qui a changé dans la rythmicité/dynamique de vie de chaque famille.

Comment Respirations opère ?

Dans le contexte actuel, où les politiques migratoires produisent de plus en plus de frontières,

Respirations résiste par la création des nouvelles spatialités où les frontières posées par des catégories binaires « étrangers et citoyens » (Agier) s’effacent. La production de cultures est un important moyen de réparation. Nous parlons du chant (voir les projets show à la fenêtre, concert), de la danse comme ancrages du mouvement et mémoire, comme construction d’un langage corporel (hip-hop), de l’atelier berceuse, par exemple, comme lieu de transmission de la langue maternelle. Nous parlons des supports matériels et immatériels fabriqués par la communauté Respirations qui permettent aux enfants et familles de rêver, d’avoir des supports identificatoires pour bâtir le vivant et des bricoler d’autres façons d’être au monde.

C’est là où se trouve un des potentiels subversifs du programme, c’est-à-dire, la construction des espaces ludiques, des tiers-lieux, de temps qui s’inscrivent dans une continuité et sortent les sujets de la suspension de l’urgence, de l’impossibilité de se projeter dans un temps et un espace. Le public-cible du programme sont des enfants et des familles qui affrontent des contextes de vulnérabilité sociale, certains d’exclusion, qui se trouvent dans des situations complexes de rupture, voire d’errance forcée. Une première réponse à ces problématiques est la création des tiers-lieux, qui garantissent une continuité et rythmicité des espaces et pratiques. Le potentiel de subversion de l’institution que le tiers-lieu peut créer, permet de faire de l’espace du Centre d’Hébergement d’Urgence autre chose qu’un lieu d’accueil temporaire, mais un espace transitionnel entre le sujet et le monde, un espace de création potentialisant le sujet dans son action, dans le dépassement et par la rencontre d’autres figures d’altérité, réapprendre les goûts du jeu de la « ré-appétence au lien » (Douville). Il s’agit dans cette démarche de re-fabriquer un « lien social incluant » qui renoue trois catégories de la dignité́ du sujet (Foucault, Douville).

• la dignité du corps (la mise à l’abri du corps, de la vie, de l’espace intime)

• la dignité de la parole (un lieu relationnel, d’échange avec l’autre)

• la dignité du travail (« dérivée de la dignité des ritualisations » (Douville) et des temporalités qui s’instaurent)

Le pari qui peut être fait est celui d’une transformation du « se loger » en « habiter ». C’est-à-dire, d’un espace en lieu, tel qu’il est défini par l’anthropologie en tant que : relationnel, identitaire et historique (Augé). La construction identitaire d’un sujet passe inévitablement par l’identification à un lieu.

Parmi le public-cible du programme Respirations, nous retrouvons aussi des jeunes mineurs nommés non-accompagnés, connus par l’appellation MNA. Une première question se pose : l’adolescence étant un moment particulier du montage identitaire, comment se situer au sein d’une filiation, comment faire circuler des marqueurs majeurs de l’identité qui disent l’origine et les mythes de soi, lorsque ces jeunes sont nommés « isolés et étrangers » ? La communauté Respirations a su les accompagner (voir atelier Street-art), les accueillir en ville et faire exprimer les regards qu’ils portent sur elle (voir balade photograff’). La communauté Respirations a su leur faire oublier qu’avant d’être sans papiers ils sont des jeunes (voir sortie jeu au parc de la poudrerie, balade canoé) ; a su ne pas laisser la sonorité de leur prénom se noyer dans des catégories enfermantes comme celle de MNA (voir atelier graffiti et marquage des prénoms). Ils sont devenus des artistes, des enfants, des photographes, des danseurs.

Nous soutenons l’idée que l’appropriation de l’espace urbain par le biais des activités culturelles et scientifiques potentialise les capacités d’adaptation, d’intégration et renforce le sentiment individuel et collectif d’appartenance au pays d’accueil. Tout en rappelant que lorsqu’on parle du sentiment d’appartenance, on parle d’une dimension subjective du déplacement : c’est-à-dire qu’il se passe quelque chose à une échelle individuelle et qui est étroitement lié à des processus de socialisation, qui passent par « pouvoir s’identifier à un lieu » et le sentiment d’appartenance. Toutefois, les lois de la cité peuvent avoir un effet pathogène sur la parole du sujet lorsqu’elles productrices de ségrégation (Biancarelli et Douville). En guise de réponse, la communauté Respirations accompagne les sujets dans la fabrication de nouveaux points d’appui par le bais de la culture et de la science et des temps de loisir.

Rédactrice : Lorenza Biancarelli

@: jecontactelaresh@gmail.com


[1] Biancarelli, L., (2019), Haut traitement du corps dans la cité. Pour une anthropologie Clinique du statut du

corps. Thèse de doctorat, sous la direction d’Olivier Douville. Présentée et soutenue publiquement à Paris, École Doctorale de Recherches en Psychanalyse et Psychopathologie. Université Paris VII, Denis- Diderot.

Biancarelli, L. & Douville, O., (2020). Une topologie contemporaine du corps dans la cité. (sous presse)